La boutique atelier de Stéphanie Barthes

La taxidermie fait peau neuve

Nous sommes le mercredi 20 janvier 2016, il est 10 heures, je descends du bus et m’approche de la boutique-atelier de Stéphanie. J’aperçois plusieurs animaux en vitrine, tous morts, certaines aux têtes accrochées au mur, un coq me fixe. C’est certain, je me dirige bien vers une boutique de taxidermie.

Cela fait maintenant quatre ans qu’elle a repris la boutique. Ancienne mannequin, sortie des beaux arts, mère de famille, Stéphanie Barthes n’a rien de l’image ringarde de la taxidermie. C’est au milieu de ce décor improbable fait d’outils, de têtes naturalisées accrochées au mur et de sang sur le sol que je fais sa rencontre.

L'atelier de Stéphanie Barthes, taxidermiste

Apparemment, j’aurais de la chance, un chasseur vient de déposer un cerf à naturaliser (entendez « à empailler ») ce matin et en plus il y a André, l’ancien propriétaire de la boutique.

têtes de biches empaillées

Entre son programme très chargé fait de chasse, pâté, pêche et champignons, André Rouillon rend visite à son élève. Il est celui qui a tout appris de la taxidermie à Stéphanie, c’est un passionné, « on peut pas s’en passer ; sinon on s’emmerde ». 

L'atelier de Stéphanie Barthes

Il était venu lui donner un coup de main pour conserver une autruche de 2m60 mais le trophée du chasseur du coin semblait plus urgent. Du coup, moins emballé par ce boulot, l’ancien taxidermiste a préféré me raconter plein d’anecdotes et fumer, fumer et fumer.

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Dans le magasin, changement d’ambiance, ici pas de mauvaises odeurs ni de sang. La boutique ressemble à un zoo figé, il y a de nombreuses espèces d’animaux, des plus domestiques comme le chat aux plus sauvages comme le kangourou.

La boutique atelier "girly" de Stéphanie Barthes

Les éclairages roses plongent le décor dans une ambiance très féminine. Un écran diffuse des photos du travail de la naturaliste mais aussi de ses performances où elle se met littéralement à nu.

la boutique de Stéphanie Barthes

On en vient à parler de la difficulté financière de ce métier, RSI, taxes, retraites…. Stéphanie reçoit des demandes de naturalisation tous les jours mais qui ne lui rapportent que 400 euros par mois pour vivre même s’il faut débourser 600 euros pour une tête de cerf. Au delà de ce qu’elle doit à l’Etat, elle a aussi beaucoup de matériel à acheter et ses marges sur les réalisations sont très basses. André a travaillé 42 ans et sa retraite est loin de décoller. Ça le rend fou, lui qui ne savait même pas quoi faire de son argent pendant une période de sa carrière.

Il a connu l’âge d’or de cette profession. Avec plusieurs concours remportés, il a pu se faire un nom dans la profession. Avions et bateaux privés pour rejoindre les plus riches couronnés du monde, comme le roi Hassan II, il me raconte même avoir chassé avec sa fille. Il a pu naturaliser des espèces qui aujourd’hui ont presque disparu, comme le cagou, emblème de la Nouvelle-Calédonie. « J’ai eu une vie sensationnelle, je regrette pas », me confie-t-il.

Pendant la conversation, Stéphanie regarde « son chouchou » avec beaucoup d’admiration. Son plus grand rêve serait de pouvoir faire « l’arche d’André », lui, naturalisé avec son fusil de chasse, « sa clope au bec » et derrière tous les animaux qu’il a naturalisés dans sa vie.

André Rouillon et Stéphanie Barthes

C’est toujours en train de parler que le maître pose avec son élève. 

Le profil de ses clients reste sensiblement le même au fil des années. Il y a « le chasseur bourru du fin fond du Médoc », les bourgeois qui pratiquent la chasse à cour et ceux qu’elle appelle les « Sans Difficultés Financières ». Eux paient des milliers pour tuer un lion qui finira en peau salie par du champagne et des toasts de caviar.

Mais il y a aussi un dernier type de client, ou plutôt de cliente. Elles sont âgées et leurs animaux portent des noms qui pourraient être ceux de leurs enfants ou de leur compagnon, Rémi, par exemple.  André, qui refusait de faire le psychologue, ne naturalisait pas d’animaux domestiques, « ça arrive ici, ça pleurniche, ça vient les chercher, et rebelote » lâche t-il. Stéphanie, elle, est une habituée et elle a souvent affaire à des demandes tordues, la dernière en date est celle d’une dame qui a récupéré son chien et a seulement vérifié que le sexe de l’animal était bien naturalisé. « Vous lui faites bien ce qu’il faut » répètent-elles à chaque fois.

Stéphanie naturalise souvent des chats

Stéphanie naturalise de nombreux animaux domestiques. Une de ses clientes a déjà fait empailler ses 9 animaux de compagnie.

Si la naturalisation d’animaux domestiques semble plus anecdotique que choquante, celle d’animaux plus rares contribue à renforcer l’idée que les taxidermistes sont des « braco » ou des « tueurs ». Stéphanie en est bien consciente mais pour elle, naturaliser ces espèces c’est un moyen de leur donner une seconde vie et elle c’est contre les « cons » qu’elle pense qu’il faut se battre. Ceux qui ne respectent pas les réglementations de la chasse et de la survie des espèces, comme ne pas tuer de couple ou de jeune animal. Ces « cons » ont donc réussi à mettre en danger leur profession de taxidermiste, qui, aujourd’hui, fait les frais d’une réputation assez controversée.

La frontière entre chasse autorisée et braconnage est très mince. Quand de riches milliardaires partent en safari en Afrique ce n’est pas du braconnage mais ça aide justement à s’en protéger. « Quand ces mecs paient ces sommes là, là-bas, ça aide à se battre contre le braconnage, payer des 4×4 ou des mecs qui surveillent les terrains » m’explique Stéphanie.

Il est difficile de concevoir que tuer des animaux aide à en protéger d’autres, pourtant c’est légal. Les permis de chasse sont délivrés sur des animaux soit blessés soit trop vieux pour se reproduire. D’ailleurs, elle ne peut pas les recevoir dans sa boutique si les clients ne présentent pas tous les papiers exigés par le gouvernement français. C’est extrêmement réglementé, certains animaux restent parfois bloqués plusieurs années par les douanes, à cause de la peste bovine. Pour les conserver, ils m’expliquent que les bêtes sont dépecées sur place, les crânes bouillis et blanchis à l’eau de javel et les peaux salées.

Stéphanie semblait vraiment tenir à m’expliquer l’appréhension qu’elle a de son métier, moderne et réaliste. Si son maître colle encore à la vision traditionnelle que l’on peut se faire de la taxidermie, son élève, elle, a réussi à le transformer en une pratique artistique.

Aujourd’hui de nombreux magazines s’intéressent à elle mais aussi des photographes, qui viennent parfois de New York pour la rencontrer.

Vidéo réalisée par Clément Caffy  

Si vous voulez immortaliser vos petits animaux de compagnie ou votre belle-maman, Stéphanie Barthes vous accueillera au 245 Avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny à Bordeaux.

Crédits photos : Charlène Teolis

http://www.stephaniebarthes.com/ 

 

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